lundi 4 mars 2013

accompagner n'est pas conduire

5 jours sans travailler dans mon atelier

La semaine dernière, j'ai discuté du fait que je n'avais pas pu travailler dans ma salle, avec mes collègues. Eux ne voient pas les choses comme moi. Le fait de créer une organisation différente amuse les usagers et ils ne souffrent pas de la situation. Cela créé aussi une bouffée d'air, un moment différent. 

Souvent nous confrontons nos points de vue sur pleins de choses et j'aime vraiment ces échanges pleins de bon sens qui font avancer les questionnements et notre vision des choses sur notre accompagnement.

Je suis sans doute plus radical dans mes propos, mes pensées, mais je suis aussi, peut-être l'éduc qui revient le plus sur ses certitudes...

Je suis toujours partagé entre leurs bien-être, leur bonheur et les aider à comprendre ce qui ferait qu'ils seraient acteurs de leurs vies... Et je me rend compte, que, (ce cheminement est sans doute aidé par le fait qu'aujourd'hui je suis parent), c'est tout le nœud de l'éducatif: les laisser faire des choix mais les guider vers ce qui est bon pour eux, tout en acceptant que ce qu'ils choisissent n'est pas forcément le meilleur à nos yeux.Et que dans leur choix qui parfois nous parait erroné, ils finissent par être heureux.

J'ai mis longtemps à accepter que mon choix n'était pas forcément le leur, et surtout que je n'avais pas forcément raison... Au début de ma carrière, souvent, je m'énervais ou partais frustré quand un usager ne prenait pas le chemin que je lui indiquait, laissant complétement de coté leur libre arbitre, le fait que l'autre avait le droit de faire d'autre choix de se tromper, ou que moi, je puisse ne pas avoir tous les tenants et les aboutissants de la raisons de ces chemins escarpés.
aujourd'hui, j'ai compris que mon rôle est surtout de leur apprendre qu'il y a des règles de vie en société et que ça ils ne peuvent pas en déroger. Mais qu'en est t-il de leur choix de vie?
 
Prenons Anne. Anne a 45 ans, trisomique, elle vit chez sa "petite" sœur qui vit en couple. Ce couple n'a pas pu avoir d'enfant et la dorlote comme si c'était leur "petite" fille et l'avoue sans complexe. A 48 ans, Anne laisse croire à sa famille qu'elle croit au père noël, attend ses barbies et ses crayons de couleurs, et saute de joie à l'annonce des vacances en Bretagne.

Au centre Anne aime travailler. Elle a un goût particulier pour les fleurs, et en prend soin. A noël, elle réclame des montres et des bijoux.

Au début, avec Anne, j'essayais de la convaincre qu'il fallait qu'elle fasse comprendre à sa soeur qu'elle n'était pas une petite fille, qu'elle devait la traiter en tant qu'adulte. Je reprenais la famille en réunion, sur les calins, les termes "école" et les heures de couché qui était obligatoire à 9h.

Et puis, je suis allé faire une rencontre familiale chez Anne. Bien sur, la chambre rose et caricaturale de la petite fille, m'a choquée dans un premier temps... Je voyais ma bonne vieille Anne si active au centre se transformer en poupée face à sa soeur qui refusait (et le verbalisait!!!) de la voir comme une adulte. Mais je voyais Anne qui trouvait aussi cet équilibre en ces deux situations: d'un coté elle était considéré comme l'adulte qu'elle était, et profitait de ses relations amicales, et de travail au centre et en même temps, chez elle, elle trouvait de quoi la rassurer, et se reposer dans un climat de confiance.

Anne savait se satisfaire des deux. Sa vie était construite sur ces deux piliers et je ne comprenais pas trop ce que moi je pouvais y changer à part lui procurer de l'angoisse....

Anne était heureuse ainsi. Elle était parfaitement intégrée dans son quartier, avait un rôle assumé dans sa famille et défini dans la structure.... A quoi servait de changer les choses puisque ça ne dérangeait que moi finalement...

Mais, paradoxalement, peut-on tout laisser faire sous prétexte qu'ils sont bien?

Bien sur, les faire travailler, leur donner une situation, un rôle dans la société c'est important pour eux. Mais ne pas les payer pour ce service rendu, pour ce travail auquel ils ont donné du temps et de l'énergie est-ce juste? 
Bien sur ils sont heureux dans ce qu'ils font et ça ne les dérange pas de ne pas avoir d'argent... Et pour cause ils n'en ont pas notion. Est-ce que parce qu'ils sont bien et heureux dans l'endroit où ils sont, on doit ne pas les payer? Est-ce que parce qu'on leur offre un rôle dans un fonctionnement institutionnel, un rôle bien défini, on ne doit pas leur donner ne serait-ce un avantage, un dédommagement? Est-ce qu'être heureux et bien dans sa vie ça suffit? Est-ce que notre rôle s'arrête là ou doit on se battre aussi pour des droits auxquels ils n'ont pas accès, des droits pour lesquels il ne sont pas dans la capacité de se battre, au risque parfois, de les mettre moins à l'aise, plus mal dans leur vie?

Toute la complexité de mon travail est là et parfois, je dois bien l'avouer, je n'ai pas de réponse à cela..




1 commentaire:

  1. éduc auprès d'ado avec handicap mental, je partage ton questionnement entre ce que veut l'institution, ce que veut le jeune, ce qu'il peut faire, ce que souhaite sa famille, ce qu'elle en dit, ce que le jeune en dit.... Difficile d'y voir clair dans tout ça. C'est tout le "sel'" de notre boulot!

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